Lueurs d’Apocalypse

Joël Rochette et Dominique Lambert (éd.)
Lueurs d’Apocalypse.
Imaginaire et recherches autour du Manuscrit de Namur (XIVe siècle)
Namur ; Paris, Éditions jésuites, Lessius fidélité, 2017, 223 p.
Tarif : 22, 50 euros

Ces actes du colloque tenu à Namur en Février 2016 autour du Manuscrit de Namur, appelé aussi l’Apocalypse de Namur (Ms 77), croisent différentes approches de l’Apocalypse johannique et plus largement de la littérature apocalyptique : exégèse, théologie, philosophie, histoire de l’art. Dans notre monde marqué par les catastrophes écologiques et les violences humaines, cette approche transversale a permis de souligner la grande actualité du texte biblique qui fait écho à la fois à nos peurs et à notre espérance. L’ouvrage rassemble 14 interventions réparties en 4 parties.

Première partie : l’Apocalypse et la Bible

La première intervention, de I. Ababi, parcourt les ch. 7 – 12 du livre de Daniel. Après avoir rappelé le sens du mot apocalypse (révélation), l’auteur montre que l’apocalyptique est à la fois un genre littéraire, un mouvement socio-religieux et une certaine compréhension du monde. Cette littérature de crise est porteuse d’une espérance, celle de la victoire finale sur le Mal liée à une intervention divine.

La deuxième intervention, de Joël Rochette, est plus originale. Dans l’Apocalypse de Jean elle met en évidence les quatre procédés littéraires utilisés pour exprimer et faire grandir la peur. Et parallèlement les quatre procédés que le texte propose pour assumer et dépasser ce cycle infernal de la peur. Le lecteur est ainsi appelé non seulement à l’espérance, mais à la célébration liturgique du Christ vainqueur du Mal.

La troisième intervention s’intéresse aux lettres aux Églises (Ap 2 – 3). C’est une tentative pour actualiser le texte à partir d’un schéma anthropologique fondé sur la psychologie contemporaine des groupes.

Deuxième partie : l’Apocalypse en discours

Elle comporte elle aussi trois interventions.

La première, de Joël Spronck, s’attache au discours eschatologique de Jésus (Mc 13). Au centre de la structure concentrique des nombreux malheurs annoncés (v. 5b – 23a), se trouve le v. 10 qui donne au lecteur la signification profonde du temps de l’Église : la proclamation au monde entier, à tous les hommes, de la bonne nouvelle du salut, est le préalable inconditionnel à la fin des temps. Ce discours est donc une exhortation toujours actuelle adressée aux chrétiens.

La deuxième intervention : l’Église et Babylone dans l’Apocalypse (D. Janthial), invite l’Église à sortir de Babylone, c’est à dire de tout système totalitaire et toute idolâtrie, en renonçant en particulier à sa prétention de combler le manque. Elle invite le lecteur à convertir son regard (importance du verbe voir employé plus de 60 fois) vers l’avènement d’une église telle que Dieu la veut, sans exclusion et sans sacralisation de la violence.

Dans la troisième intervention, L’Apocalypse au cinéma, Serge Goriely choisit de se repérer dans l’immense champ des représentations cinématographiques de la fin du monde, à l’aide de cinq motifs bibliques. L’épisode du déluge est mis en relation avec les risques liés à l’environnement et surtout avec les éco-fictions catastrophiques. Le second cavalier de l’Apocalypse renvoie aux films de guerre, aussi bien à la seconde guerre mondiale qu’aux menaces d’un conflit nucléaire. Le troisième cavalier, avec sa balance comme symbole du manque, correspond au genre post-apocalyptique : la catastrophe ayant eu lieu, l’histoire du film porte sur les efforts des survivants pour assumer leurs besoins les plus élémentaires. Le cheval blême est lié soit à des récits d’épidémies soit à des films de zombies, l’humanité étant, dans les deux cas, menacée d’extermination. Enfin l’image du cavalier salvateur se retrouve dans les films où le héros, par ses armes ou par la ruse, remporte la victoire finale. Cependant Le Sacrifice de Tarkovski se distingue de tous les autres et se situe dans une perspective chrétienne puisque l’action du héros est uniquement d’ordre spirituel.

Troisième partie : L’Apocalypse, entre philosophie, arts et sciences

Quatre interventions.

Dans la première, le physicien et philosophe Dominique Lambert s’interroge : y a-t-il une représentation de la fin du monde chez les scientifiques ? Après avoir présenté plusieurs figures possibles de l’état ultime de l’univers, il retient trois modalités : celle d’une disparition totale de la réalité espace-temps-matière, celle d’une exténuation de l’existence qui s’installe dans un état où plus rien ne se produit, celle de la fin envisagée comme une transition vers quelque chose de nouveau ou de totalement renouvelé. Cette conception de la fin comme métamorphose fait écho au point Oméga de Teilhard de Chardin, point de basculement vers une réalité méta-empirique.

L’auteur insiste sur la nécessité de distinguer la réflexion sur la fin physique de l’univers, qui est du domaine de la science, de l’eschatologie qui est du domaine de la théologie. Un dialogue est-il possible entre les deux ? Pour lui, Teilhard, comme Bergson, offrent une piste pour penser l’articulation de l’histoire cosmologique et de l’eschatologie.

La deuxième intervention porte sur les millénarismes à travers les siècles. Après avoir donné une définition du millénarisme (conviction qu’après une période de catastrophes et de cataclysmes le Christ reviendra pour un ultime combat contre le Mal et que sa victoire sera suivie du jugement dernier et de la fin du monde), l’auteur, Albert Vinel, survole l’histoire du millénium depuis l’époque biblique jusqu’à nos jours. Il montre le passage d’une eschatologie cosmique et collective à une eschatologie individuelle (Origène) puis l’identification du millénium au temps de l’Église (Augustin).

Joachim de Flore (XIIe s.) va mettre l’accent sur la fin de l’église institutionnelle liée au règne du Fils, pour permettre la venue du règne du St Esprit, temps de l’égalité sociale, de la paix et de la joie. De son utopie pacifiste dérivent plusieurs courants contestataires violents qui veulent, par la force, instaurer le paradis sur terre (cf., par ex., Thomas Müntzer, considéré comme un précurseur de Marx, ou les théologies de la libération).

Aujourd’hui, avec l’essoufflement des mouvements militants pour un changement de société, nous sommes passés d’une eschatologie historique à une eschatologie apocalyptique : pour résoudre le conflit du Bien et du Mal, le Pentecôtisme ne fait plus appel qu’au surnaturel et au Christ sauveur.

Tout au long de son histoire, le millénarisme, mouvement protestataire et mobilisateur, met presque toujours l’accent sur les catastrophes précédant le règne du Christ, alors que l’Apocalypse est d’abord message d’espérance et de joie. Aujourd’hui cependant le millénarisme est bien vivant car l’espérance ne peut pas vivre de mots.

Troisième intervention : les héritages iconographiques de l’Apocalypse.

L’Apocalypse ayant été depuis l’époque paléochrétienne une vaste source d’inspiration pour les artistes, l’auteur (Christian Pacco) propose un rapide inventaire des principaux thèmes retenus. Il en relève neuf. Certaines notices sont plus développées car il montre l’évolution du thème. Ainsi en est-il pour la Majestas Domini (Christ en gloire selon Ap 4) remplacé au XIIe s. par les représentations du jugement dernier. Ainsi en est-il pour la femme enrobée de soleil (Ap 12) : d’abord symbole de l’Église, elle reçoit à la fin du VIIIe s. une interprétation mariale, puis au XVe s. représente l’Immaculée conception. Le thème de la Jérusalem céleste (Ap 21) donne lieu lui aussi à un plus long développement car il est exploité aussi bien dans l’art funéraire et les peintures murales, que dans l’architecture, l’orfèvrerie, les vitraux…

Cet inventaire permet de souligner l’absence de scènes cataclysmiques. Ce qui importe, ce n’est pas l’évocation de la fin des temps, mais le règne présent du Christ.

Cette troisième partie s’achève par une étude sur la place de l’Apocalypse dans la liturgie de Vatican II. L’auteur (André Haquin) montre la tension qui s’y reflète entre l’attente de la venue du Seigneur et l’affirmation de sa présence (thème du « déjà là » et du « pas encore »). Il souligne que les deux textes consacrés à l’Église (Lumen Gentium et Gaudium et Spes) prennent au sérieux l’histoire humaine mais invitent le croyant à reconnaître la présence du monde nouveau, à l’attendre et à le servir dans une espérance active. L’article se termine par une exhortation faite aux célébrants à oser prêcher l’Apocalypse.

La quatrième partie est consacrée au manuscrit de l’Apocalypse de Namur.

Une première intervention décrit le travail d’une enlumineresse.

Les trois autres interventions abordent le manuscrit dans une perspective strictement historique : présentation (texte, iconographie, disposition des miniatures peintes), recherche de son origine – sans doute un atelier de Normandie dans les années 1320 – 1330 – et ses liens avec trois autres manuscrits anglo-normands, en particulier avec le manuscrit latin 14410 (Paris BnF ). Plus rapidement quelques précisions nous sont fournies sur les gens à qui ce manuscrit de Namur a appartenu et sur la finalité de cette œuvre, texte de dévotion et d’instruction religieuse pour orienter la vie morale des lecteurs de la fin du Moyen Âge.

Cette quatrième partie s’achève par une invitation à poursuivre la recherche sur ce Ms 77 qui est loin d’avoir livré toutes ses clés, à poursuivre en particulier les études comparatives avec les trois manuscrits précités.

Cette recension, anormalement longue, dit l’intérêt de cet ouvrage aux multiples facettes, mais aussi la postérité foisonnante du texte biblique de l’Apocalypse de Jean, non seulement dans l’exégèse et l’histoire de l’art, mais aussi dans la vie socio-politique de l’Occident et plus largement encore du monde, ainsi que dans la vie liturgique de l’Église universelle.

Ce texte biblique, que peut-être nous lisons peu aujourd’hui, apparaît ainsi, plus que jamais, comme un appel vibrant à une espérance en actes.

Public : public motivé.
Parcours concernés : Exégèse (en particulier Des Paroles pour vivre, 4e année), Art et Bible.

Recension : Danielle Ellul.

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