La gravure d’illustration dans les Bibles imprimées

Introduction au cours sur la gravure dans les bibles illustrées, par Alain Combes
(Voir Art et Bible, p. 3 ; pour une autre introduction et une entrée dans le vif du cours voir le site de l’auteur www.bibliac.fr)

L’illustration médiévale

Quand on parle de « Bibles illustrées », c’est aux Bibles médiévales manuscrites que nous pensons en premier. Produites pour quelques riches commanditaires, elles étaient la plupart du temps des pièces uniques.

Dans ces ouvrages, les enluminures ont été un somptueux décor peint, à tel point que pour certains livres ont parle de « manuscrits à peintures ». Lettrines et encadrements s’accompagnaient de représentations souvent stéréotypées en ce qui concerne la mise en scène des histoires bibliques, l’essentiel se trouvant surtout dans la qualité du dessin ou l’art du peintre enlumineur. Mais ces chefs d’œuvre qui demandaient un travail énorme ont été produits pendant des siècles, pour un très petit nombre de privilégiés. C’est bien ici que se situe la première révolution de l’imprimerie et, partant, de l’image imprimée.

L’illustration à la renaissance

Dès la fin du XVe siècle, les premières bibles illustrées imprimées sont diffusées. Tout d’abord, on conserve la pratique de peindre à la main : dans des espaces réservés à l’intérieur du texte imprimé des artistes dessinent et peignent, ce qui garde au livre imprimé un coût important. Dans un deuxième temps, au texte imprimé sont ajoutées des gravures imprimées que certains acheteurs pourront éventuellement faire enluminer, mettre en couleurs. Bientôt, la diffusion plus large et l’usage étendu du livre conduisent à ne plus envisager de colorisation, du coup la gravure dans le texte développe des qualités propres qui n’appellent plus la couleur. La gravure, par la multiplication des exemplaires a permis à de nombreux artistes de s’influencer mutuellement. Les modèles qui circulaient ainsi servirent de base à des échanges entre les arts de la scène, la peinture, la sculpture, la céramique etc.

C’est donc au XVIe siècle que les Bibles imprimées vont se multiplier et permettre à un plus large public de « lire les images » en complément au texte. Parallèlement aux Bibles illustrées on trouvera aussi des recueils d’images bibliques commentées : des livres seront composées d’images représentant des scènes bibliques où le texte apparaît simplement comme référence.

La place de la gravure d’illustration

Ainsi, du XVIe jusqu’au XIXe siècle, dans les Bibles illustrées, les catéchismes, les livres de « Figures de la Bible », se trouvent des gravures qui sont souvent méconnues mais qui ont marqué l’histoire du livre et la transmission de la foi pendant des siècles.
Une « lecture » rapide des illustrations bibliques donne parfois l’impression que ces créations sont destinées au simple usage illustratif, sorte de « double » visuel du texte, un peu superflu.

On y voit trace, à la rigueur, des étapes de l’histoire de l’art, on y admire l’habileté d’un graveur ou le dessin d’un maître connu par ailleurs pour sa peinture. Mais les choix d’un dessinateur ne sont pas qu’esthétiques, guidés par des modes dans l’histoire de l’art. La mise en scène des épisodes bibliques, même si elle renvoie parfois à des traditions est également dépendante de considérations liées à la théologie du dessinateur ou de son milieu, à l’histoire religieuse du temps, aux sensibilités morales, bref au monde dans lequel vit l’illustrateur ou son commanditaire.

On peut ainsi dégager quelques pistes pour mieux comprendre ce que nos contemporains voyaient dans la Bible, ce qu’ils désiraient en garder et ce qu’ils souhaitaient communiquer.

La Réforme et l’illustration biblique

La Réforme, en particulier dans le monde luthérien, a donné un statut à l’illustration biblique : « Sans la parole vivante de Dieu, l’image évangélique est condamnée au silence, livrée sans défense à tous les abus. C’est pourquoi l’image ne peut pas remplacer la prédication, mais la présuppose. Les images chrétiennes ont un sens et une raison d’être uniquement là où la Parole de Dieu est entendue et accueillie dans la foi. » (Margarete Stirm, Les images et la Bible. Le temps des Réformes et la Bible, in La Bible de tous les temps, vol. 5, Paris, Beauchesne, 1989, p.702).

On s’étonne parfois de la présence si nombreuse d’illustrations dans certaines Bibles de la Réforme, essentiellement dans le monde luthérien ; il faut à ce propos rétablir quelques faits.
La vague d’iconoclasme qui accompagna la Réforme ne toucha pas l’image dans le livre, les dites images n’étant pas considérées comme un instrument de piété ou de dévotion.
Luther écrivait : « Plût à Dieu que je puisse convaincre les seigneurs et les riches de faire peindre à l’intérieur et à l’extérieur des maisons la Bible tout entière ! Ce serait une œuvre chrétienne… les images sont une prédication pour les yeux. » (WA 18, 83 ; Marc Lienhard, Martin Luther, Genève, Labor et Fides, 1991, p. 141).
De fait, la publication des premières Bibles de Luther s’accompagna de nombreuses gravures sur bois conçues dans l’atelier de Lucas Cranach qui était un ami de Luther. D’autre part, les catéchismes utilisèrent les images comme un éminent moyen pédagogique.
Zwingli visa premièrement et principalement celles qui étaient à l’intérieur des églises. La présence d’images hors des lieux du culte et le fait que tout un chacun puisse en posséder lui semblait tolérable. Pour Calvin, il n’était pas question de représenter Dieu, mais il acceptait que soit représenté ce qui fait partie de notre univers visible. Selon lui, l’image permet de se souvenir, elle peut évoquer des portraits, des paysages, des animaux : « Toutesfois je ne suis pas tant scrupuleux, de juger qu’on ne doive endurer ne souffrir nulles images […]. Quant à ce qui est licite de peindre ou engraver, il y a les histoires pour en avoir mémorial : ou bien figures, ou medales de bestes, ou villes, ou pais » (Calvin, Institution, Corpus Reformatorum, t. XXXI, col. 135-136).

Il n’y a donc pas d’interdit strict ni dans le monde luthérien, ni dans le monde calviniste. Pourtant, on remarque que les Bibles calvinistes sont illustrée presque uniquement de représentations « archéologiques » (le temple, le tabernacle dans le désert, les accessoires du culte, des cartes diverses). Par contre, les Bibles luthériennes, tout comme nombre de Bibles catholiques au XVIe et XVIIe siècle possèdent souvent des séries d’illustrations figurant les événements racontés dans le texte ou « décorant » le début des livres bibliques.
Les livres de « Figures de la Bible », si nombreux dans la deuxième moitié du XVIe siècle furent même bâtis sur des cycles bibliques représentés par des gravures, chacune accompagnée de quelques vers ou d’un court texte situant ou commentant l’épisode figuré. Voir à ce sujet : Max Engammare, Mélanges de l’Ecole française de Rome. Italie et Méditerranée, 1994, t. 106/2, p. 549-591.

Nous trouvons là une réponse au vœu de Luther : « Dans la préface du ‘Passional’, Luther exprime son désir d’un livre dans lequel toutes les histoires importantes de la Bible seraient mises en image. Ce serait une véritable ‘Bible des laïcs’, qui contiendrait exclusivement des histoires bibliques sous forme imagée et les paroles de l’Écriture correspondantes, comme c’était le cas pour le ‘Passional’. Un tel livre d’images bibliques ne devrait pas remplacer la Bible, mais faciliter l’intériorisation du message de la prédication, de la lecture ou de la récitation de la Bible, ce qui est comparable à la mémorisation des paroles de l’Écriture » (WA, X/II, 458, 30 ss. In Margarete Stirm, op. cit., p. 699).
Et même si l’Église Catholique permet le culte des images, le but qui leur est assigné est néanmoins précisé par le Concile de Trente : « nous faire connaître l’histoire des deux Testaments, et de nous en renouveler de temps en temps le souvenir, afin que la pensée des bienfaits de Dieu nous excite à l’honorer davantage et augmente dans nos cœurs le feu de l’amour que nous avons pour lui. » (Catéchisme du Concile de Trente, Du décalogue VII, Traduction de Mgr Emmanuel Marbeau et du chanoine A. Carpentier, Paris, Itinéraires, 1969, p. 358).
À ce point, et hors d’un culte rendu à l’objet lui-même (ce qui ne concerne pas le livre) l’image « catholique » et l’image « luthérienne » participent à la même démarche : renvoyer à la Bible pour qu’elle assume sa fonction de révélation de Dieu.

Une richesse créative

L’imitation eut une place importante à partir du XVIIIe siècle et particulièrement au XIXe, mais c’est une richesse créative qui caractérise la production des Bibles illustrées, avec des « pointes » d’originalité et de talent. De tout temps, l’imagination (la mise en images) du lecteur a été « provoquée » par la force évocatrice du texte biblique, au point qu’on peut parler à ce propos d’une lecture de l’image dans/à partir du texte. Mais quand le lecteur n’a plus seulement le texte imprimé mais aussi une image qui n’est pas née de son imagination, on peut penser qu’il apprend à lire le texte dans/à partir de l’image. Dans le cas où il trouverait l’image incomplète ou fausse, il pourrait, comme le suggérait Louis Richeome dans son ouvrage illustré, corriger l’image à partir du texte (!) (Cf. Les tableaux sacrés des figures mystiques, Paris, Laurens Sonnius, 1601, après l’achevé d’imprimer). Et s’il y a un détournement du sens, les plus indulgents diront qu’il est le fait du dialogue passionné entre la Parole et l’homme, à chaque moment de l’histoire de chacun, à chaque époque.
Détournement, ancrage, incarnation signent l’extraordinaire puissance de la Bible à être le révélateur suprême de l’humain face à Dieu.

D’une façon générale, nous devrions ainsi, par le rapport entre l’image qui dit le texte et le texte lui-même approcher une étude pratique de la représentation de la Bible, que cette représentation soit visuelle, orale ou scénique. En effet, les outils de l’interprétation sont les même, seuls changent les pratiques de transposition dans les langages du dessin, du jeu scénique ou des formes artistiques nouvelles. Ce « discours » de l’image est une prédication, dans le sens qu’il actualise le texte biblique, qu’il le donne à voir par un regard, un ensemble de figures qui sont dans le présent de l’illustrateur. On pourrait aussi dire que la Parole s’incarne dans l’imagination de l’artiste qui, dès lors, sert d’intermédiaire aux lecteurs.

Notes sur les techniques de gravure :

Jusque vers la fin du XVIe siècle prédomine la gravure sur bois :
Taillé « en réserve », le motif apparaît en relief et c’est cette partie en relief qui reçoit l’encre comme les caractères typographiques. Pour graver, l’artiste utilise des gouges ou un canif, il creuse les parties qui resteront « blanches » et détoure les tracés qui seront visibles.
La gravure est donc insérée dans la composition du texte et passe en même temps sous la même presse.

La gravure sur cuivre se développe jusqu’à devenir au début du XVIIe siècle la technique la plus répandue dans l’illustration. Au contraire de la gravure sur bois, le motif est gravé en creux, et c’est le sillon creusé qui reçoit l’encre. Pour cela, une presse particulière est utilisée (presse à taille-douce) ce qui augmente nettement le coût du livre. La gravure est effectuée à l’aide d’un burin ou d’une pointe sèche et utilise également très fréquemment « l’eau forte » (la gravure est faite sur un vernis et un acide attaque les sillons). Une plus grande souplesse permet ainsi des compositions plus élaborées sur métal que sur bois.

La lithographie apparaît au début du XIXe siècle. L’artiste à l’aide d’un crayon gras ou d’une plume dessine sur une pierre calcaire. Le gras du dessin est fixé, la pierre humectée et, au moment du passage sur la pierre de l’encre, celle-ci ne se déposera que sur les parties grasses (l’eau « refusant » l’encre).

Gravures présentées :
1. La Saincte Bible, A Paris, chez Sebastien Nivelle, 1586.
2. Biblia, Onolzbach, Heinrich Gottlob Billing ; Johann Jacob Endert, 1755.

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